Je continue les six pratiques du Bodhisattva avec celle du don ou de la générosité. Je rappelle que les six pratiques sont un véritable cheminement pour s’abimer dans la voie c’est-à-dire non seulement d’y consacrer toute son énergie mais aussi de plonger dans les profondeurs de soi-même.

Ce cheminement permet de fissurer les murs de la forteresse du système conditionné (égo) pour laisser advenir l’intelligence du cœur. L’élan, le parfum de la générosité se diffuse largement pour tous les êtres quand le cœur est ouvert. La générosité pour tous les êtres est un des aspects essentiels de la pratique de la voie et de l’enseignement du Bouddha.

Cette « première » pratique du Bodhisattva nous invite à cultiver la qualité de cœur du don mais aussi du partage qui nous permet de nous libérer de l’attitude égo-centrée et de nous ouvrir à la compassion. Cette qualité de cœur nous permet aussi de reconnaître nos véritables besoins et de nous libérer de l’insatisfaction, de la peur de manquer. Ce qui nous amène à vivre plus intensément le moment présent.

La pratique du don est donc une pratique essentielle car notre manière conditionnée de fonctionner est de prendre, de nous approprier, de posséder. Cette attitude imprime en toile de fond de chacune de nos actions mais aussi de nos relations la question plus ou moins consciente : « Quel bénéfice puis-je en retirer ? »

C’est-à-dire que le voile de l’avidité, qui est dans la tradition un des trois poisons (ignorance, avidité, colère ou aversion), est au centre de nos différentes actions. En fait, si nous nous observons honnêtement dans nos activités diverses nous pouvons « voir » que ce voile a inconsciemment une place prépondérante dans notre vie. Ce n’est ni bien ni mal, c’est un fait. Mais si nous voulons que ce voile cesse d’obscurcir notre attitude d’être dans la vie, si notre désir profond est de réaliser l’éveil, nous sommes amenés à convertir ce fonctionnement.

Et la pratique du don est un chemin de conversion qui nous permet d’abandonner l’esprit qui fait toujours des calculs en classifiant les avantages et les désavantages, l’esprit qui consent à donner à condition qu’il en retire un certain bénéfice ou si cela se remarque.

C’est donc le don totalement gratuit, sans chercher de retour, sans calculer, ce que nous appelons aussi dans la voie du zen l’esprit mushotoku, sans but égoïste, sans esprit de profit.

Et il devient de plus en plus essentiel aujourd’hui de cultiver cette valeur du don dans le monde dans lequel nous vivons où l’esprit de profit est au premier plan, et nous pouvons en observer toutes les conséquences dramatiques qui en découlent dans le non respect du vivant et dans les différentes relations humaines.

Il existe beaucoup de façons d’être dans le don. Par exemple, dans certaines traditions religieuses, la pratique du don est essentiellement de faire des offrandes matérielles, de donner de la nourriture, de l’argent. Même si cela s’avère important pour cheminer dans la voie du détachement et aider les êtres dans le besoin, si nous ne sommes pas vigilants, dans cette manière de donner peut se développer l’espoir d’obtenir quelque chose en retour, un enseignement, l’espoir d’être sauvé. C’est pour cela que la pratique du don ne se réduit pas seulement au fait de donner mais demande d’être dans la conscience et l’observation de l’esprit qui anime l’action de donner. Qui donne ?

L’action de donner n’est donc pas qu’une question de « faire » des dons matériels mais une attitude du cœur et de l’esprit, et aussi un don de soi-même.

Quand nous sommes dans le don qui émane de l’ouverture du coeur, naturellement s’abandonne l’état d’esprit qui se recroqueville sur lui-même, l’état d’esprit qui s’attache à ce qu’il croit lui appartenir, s’abandonne l’état d’esprit de l’avidité pour laisser la place à la « générosité joyeuse ». Pour laisser la place au don qui se situe au-delà du gain et de la perte, au-delà de soi, au-delà même de la volonté de donner…

Maître Deshimaru disait aussi que d’être heureux était un grand don. C’est-à-dire de ne pas culpabiliser d’être heureux. Ce qui peut s’avérer être souvent le cas, car autour de soi il existe tellement de souffrances, de gens malheureux, de la misère… Mais c’est justement parce qu’actuellement nous vivons dans un monde difficile qu’il est important d’offrir sa joie, de la laisser rayonner pour donner une autre nourriture au monde et aux autres.

Ce sont aussi des « gestes » très simples que nous pouvons donner, partager dans la vie quotidienne, qui émanent de soi, de son attitude dans la vie, de son attitude vis-à-vis des autres. Par exemple, tout simplement donner un sourire, un regard accueillant, un geste attentionné, de sa présence, de l’écoute bienveillante. Offrir de manière simple et désintéressée ce qui peut soulager, avec sagesse et compassion pour ne pas donner à partir de ses propres peurs, de ses propres désirs et de ses propres croyances.

Mais donner n’est pas seulement un mouvement de soi vers l’extérieur, vers l’autre. Dans ce geste nous oublions souvent qu’il existe celui ou celle qui donne et celui ou celle qui reçoit. Si l’acte de donner est essentiel dans le cheminement spirituel, celui de recevoir l’est tout autant. Nous pouvons considérer le fait de recevoir comme un don.

Toutefois nous pouvons remarquer dans notre vie combien il peut être difficile de recevoir simplement sans que cela occasionne une gène, une tension, un refus car nous n’avons rien à échanger en retour ou que nous ne nous en sentons pas dignes. Recevoir simplement, librement demande de réaliser un certain degré d’ouverture et d’humilité. La plénitude de la générosité et du partage est directement reliée à la capacité de recevoir dans cette simplicité.

Mais en dernier lieu, un des plus grand don que nous puissions faire à l’humanité, c’est notre engagement dans la pratique de la voie, dans la pratique de la méditation assise (zazen) sans ménager notre énergie, sans chercher à en obtenir un résultat et perpétuer ainsi le don de Bouddha et de tous ceux et celles qui se sont succédés et ont consacré toute leur énergie, donné toute leur vie pour transmettre la Voie sans en attendre quoi que ce soit.

La générosité, le partage sont la manifestation de l’ouverture du cœur, d’un cœur aimant d’où jaillit la joie quand ces qualités inhérentes de l’être peuvent s’exprimer sans entraves. Ultimement, nous n’avons ni à être généreux ni à le devenir mais à nous dépouiller de tout ce qui empêche la clarté originelle du cœur de l’être de rayonner librement.