1er jour
Laissez passer. Veillez à ne pas vous fixer sur quoi que ce soit, à ne pas vous rendre prisonnier, prisonnière d’une image, d’une pensée, d’un souvenir. Alignez-vous à la verticalité du dos, de la colonne vertébrale en laissant tout le poids du corps peser sur le coussin.
Et ainsi, d’instant en instant réajustez-vous. Ne vous figez pas sur une posture. Accordez-vous à la posture vivante d’ici et maintenant. Oubliez-vous. Confiez-vous à la pratique. Ainsi établi dans la posture d’ici et maintenant, observez chaque phénomène. Observez leur naissance, leur déroulement et leur extinction. Comme une vague en train de se former et de se déformer. Sans y participer, seulement observez cela, le coeur de l’esprit réceptif. C’est dans cette réceptivité que l’on peut voir avec amour et bienveillance la prise de conscience de chaque chose, de chaque état, de chaque situation, de chaque phénomène que l’on rencontre. C’est dans cette vision que nous pouvons nous désidentifier, ne pas être attaché, fixé à quelque chose de particulier. Dans cette réceptivité, il n’y a aucune intervention. Seulement être totalement là, et laisser passer.
Alors, être ainsi assis et assise, c’est mobiliser toute son énergie, son attention à seulement pratiquer cela. Dans cette non-intervention peut se manifester un état d’attention, un état de présence dans lequel il n’y a ni à faire, ni à ne rien faire. Ni à penser, ni à non-penser. Ni à saisir ni à rejeter. Dans lequel il n’y a ni séparation ni non-séparation. Ni passé, ni futur, ni présent. Seulement la plénitude du silence. Seulement la plénitude du moment. Seulement cette plénitude d’être.
Maître Keizan disait « Il n’est pas nécessaire de penser au passé ni de penser à l’avenir, mais simplement réaliser cet instant du milieu qui est ici et maintenant. »
Expirez doucement, tranquillement et laissez passer. Le coeur de l’esprit ouvert réceptif à ce qui est là, présent en soi et autour de soi, sans s’y fixer, sans se l’approprier.
Expirez doucement, lentement et établissez-vous dans la réalité vivante de chaque instant. S’établir dans la réalité présente de chaque instant, c’est entrer dans la voie, s’abîmer dans la voie. « S’abîmer », je veux dire par là sans se ménager, sans s’épargner. Mais aussi descendre dans les abîmes, c’est-à-dire de plonger dans les profondeurs.
Alors c’est important d’entrer dans la voie avec le coeur aimant, en cultivant l’esprit bienveillant. Cet esprit qui voit la réalité sans amertume, sans résistance, sans complaisance.
Alors « ici et maintenant », c’est être pleinement présent et présente à tout ce qui est là. Non seulement être dans les sensations de chaque aspect du corps qui constitue l’assise, mais aussi dans tous les phénomènes mentaux qui s’élèvent, dans tous les phénomènes du monde extérieur, les différents sons quels qu’ils soient.
Alors assis et assise en zazen, nous ne rejetons absolument rien, et nous ne retenons absolument rien. C’est la pratique dans laquelle on inclut absolument tout ce qui est là sans chercher à supprimer, à combattre, sans chercher à retenir, à garder. Etre pleinement là sans qu’il y ait un système qui s’approprie.
Alors cela peut paraître simple comme enseignement, mais si nous le pratiquons pleinement, totalement, c’est une véritable révolution intérieure. Car nous sommes conditionnés à préférer, écarter, rejeter nos ombres, tout ce que nous ressentons, percevons comme insatisfaisants, ou à vouloir retenir, garder ce que nous considérons comme satisfaisant.
Dans cette pleine présence, sans intervenir, nous pouvons être en contact avec ce qui est là, sans s’y figer, sans s’y cristalliser et c’est dans cette attitude que se cultive l’esprit bienveillant, cet esprit qui fait fondre tous nos conditionnements, nos attachements, dans cet esprit que l’on peut s’oublier, se décentrer. Se décentrer de la conscience égocentrée.
Dans cette pleine présence, dans cet oubli, cet abandon de la conscience de soi, se réalise une grande liberté, se réalise que la voie se trouve en tout lieu, en tout instant, en soi-même, autour de soi. Ou plutôt ni en soi-même, ni hors de soi-même.
Comme l’exprime Maître Keizan :
« Silencieuse est la fleur en ce début d’avril, rose est la couleur de ce printemps. Sans penser, la musique du vent dans les pins joue sa très belle mélodie ».
Laissez passer. Il n’y a rien d’autre à faire que d’être là, et n’intervenez pas. C’est dans cette non-intervention que les divers phénomènes peuvent se dissoudre, car ils ne rencontrent personne pour les alimenter.
S’il vous plait, laissez passer. Ne demeurez sur aucun phénomène quel qu’il soit. Abandonnez-vous au chant du silence. C’est au coeur du silence, au coeur de la vacuité qu’est la plénitude d’être.
2ème jour
Expirez doucement, lentement, en allant jusqu’au bout de chaque expiration, en accompagnant la fin de l’expiration par une légère pression abdominale vers le bas, et ne retenez rien. Ne soyez pas comme une eau qui stagne, mais comme une rivière limpide, claire qui s’écoule librement.
Accordez-vous à l’expérience vivante de chaque instant. Ne restez pas figé, fixé sur ce qui a été. Tout le monde ici pratique depuis un certain temps. D’autres pratiquent depuis très longtemps.
Alors soyez justement d’autant plus attentifs et attentives à ne pas pratiquer dans une conscience endormie. Endormie par l’habitude. Car l’esprit qui s’est figé, cristallisé dans l’habitude devient résistant et la vie ne peut pas circuler librement ; ce que l’on appelle aussi dans le zen «l’esprit d’éveil» ne peut pas se manifester.
Alors veillez toujours à pratiquer d’une manière vivante, dans un corps vivant, pleinement inscrit dans la réalité de maintenant. Ceci est l’une des clés de la pratique de la voie. Vivre chaque instant avec un esprit neuf. Cet esprit est ouvert, vacant, perméable à la plénitude du silence, perméable à la plénitude d’être.
Alors ainsi assis et assise, ne vous contentez pas d’être seulement dans la forme posturale, mais laissez-vous entrer dans ce corps en posture, habiter pleinement le corps, venir vous asseoir en vous-même, pas seulement sur un coussin. Venir vous asseoir dans le bassin, dans les jambes, venir vous asseoir dans le dos, dans la colonne vertébrale. Veiller à ce qu’il n’y ait pas la moindre parcelle, le moindre tissu, la moindre fibre de l’être qui ne pratique pas zazen.
Alors c’est dans cette entière mobilisation dans la pratique, dans cette pleine attention que nous pouvons être accordés à la réalité d’ici et maintenant. Le corps qui est toujours exactement là où nous sommes : ici, et la respiration qui se fait toujours maintenant.
C’est dans cette pleine présence que nous pouvons réaliser ce que nommait Maître Keizan «l’instant du milieu» qui est ici et maintenant. Cet instant du milieu qui est ni dans le passé, ni dans le futur. Cet instant au fond qu’on ne peut pas nommer. Même si nous parlons souvent de «l’instant présent», du «moment présent», c’est déjà lui donner une forme, c’est déjà le représenter. Cet instant du milieu, on ne peut pas le saisir. On ne peut au fond que le vivre dans toutes les fibres de soi-même.
Cet instant du milieu qui échappe complètement au système conditionné. Ce système conditionné qui ne peut exister que dans la temporalité. Et c’est dans cet intemporel, dans cet instant du milieu, que le système conditionné, cette identité «je» s’efface, et que peut se déployer l’intelligence du coeur, ce qu’appelait aussi Maître Eno «l’intelligence claire».
Alors ainsi assis et assise, il n’y a absolument rien d’autre à faire que d’être assis et assise, que de mobiliser son attention à être là, à ce que toutes les conditions les plus favorables soient réunies pour que cette intelligence du coeur se déploie.
Soyez attentifs et attentives à ne pas vous laisser entraîner par les différents bavardages intérieurs. Car ces mots qui se prononcent en soi-même, ces commentaires nous coupent de cette plénitude d’être. Il ne s’agit pas non plus de les combattre, de lutter contre.
Ce qui permet qu’ils perdent de leur poids, qu’ils puissent se dissoudre, c’est d’habiter pleinement l’ici et maintenant, de se laisser entrer dans l’intimité de chaque instant. Accordez-vous à la verticalité du dos, de la colonne vertébrale, réajustez-vous d’instant en instant. Veillez à être relié à cette posture vivante du corps. Posture vivante du corps et de l’esprit non séparés.
Une des plus grandes difficultés que nous rencontrons sur la voie, est de nous libérer des attaches qui nous lient au système conditionné. A ce système qui est composé de nos croyances, de nos attachements, de notre histoire. Le cheminement intérieur consiste à nous défaire de ces liens. Tout aussi difficile que ce soit, il n’y a au fond absolument rien d’autre à réaliser.
Car tant que nous sommes prisonniers de l’identification à ce système, nous n’avons pas vu que la porte est ouverte. L’intelligence du coeur, cette intelligence claire, ne peut pas s’épanouir, se déployer en soi et autour de soi. Cette intelligence du coeur qui est inhérente à notre condition originelle. C’est-à-dire qu’on ne peut pas la travailler, la développer. Nous pouvons seulement nous dépouiller de tout ce qui la recouvre. C’est-à-dire que dans ce cheminement intérieur, il n’y a rien à gagner, à accumuler, rien à posséder. Seulement laisser toutes ces brumes se dissiper. Laisser se défaire.
«Le vent souffle, s’apaise, cesse. Les oiseaux chantent dans la vallée de la montagne profonde. Une fleur tombe, Plus paisible encore est la montagne»
Alors s’asseoir, être pleinement assis, assise dans l’intimité de chaque instant, dans l’intimité du silence, c’est laisser cette fleur de l’ego tomber. Cette fleur qui se compose de l’avoir, du savoir, du pouvoir.
3ème jour
En cet instant, qu’est-ce qui demeure réellement. En cet instant qu’il y a-t-il d’autre à vivre que d’être. Que d’être pleinement ici, dans l’intimité de ce qui est.
Tout en vous réajustant d’instant en instant dans le corps, le dos, la colonne vertébrale, en recherchant cet équilibre entre tension et détente, ni trop tendu, ni trop détendu, expirez doucement, tranquillement en allant jusqu’au bout de chaque expiration, et en l’accompagnant en fin d’expiration par une légère pression abdominale vers le bas.
Tout en vous réajustant, expirant ainsi tranquillement, accordez-vous à ce qu’appelait Maître Keizan «l’instant du milieu». Cet instant qui n’est ni dans le passé, ni dans le futur.
Alors ce temps qui n’est ni dans le passé, ni dans le futur, par commodité, par facilité nous utilisons la construction mentale «présent», «instant présent» pour le nommer. Et tout en parlant de cet instant présent c’est important d’être attentif et attentive qu’à travers cette construction mentale, nous n’essayons pas de nous représenter l’irreprésentable. De nous représenter ce qui ne peut se vivre que dans toutes les fibres de l’être.
Expirez doucement, tranquillement et tout en expirant ainsi videz-vous. Pas seulement de l’air qui a été inspiré, mais aussi de toutes les idées, les pensées, les souvenirs, les images. D’une certaine manière, en expirant ainsi en pleine conscience, en pleine présence, nous mourons à cette conscience de soi pour renaître à la nouveauté de chaque instant. Vivre chaque instant avec un esprit neuf.
Alors expirez doucement, tranquillement et soyez dans l’observation de tous les mouvements, les sensations, les perceptions, les constructions mentales, les phénomènes du monde extérieur, sans intervenir, sans vous y fixer. Seulement être pleinement là.
Maître Keizan a écrit ce poème :
«Les nuages blancs descendent et s’évanouissent. Seul puissant et haut, le sommet de la montagne verte domine. Eclipsant les cent monts, personne ne peut atteindre le sommet, personne ne peut le connaître.»
Alors, nous pouvons être cette montagne verte, ce sommet. Nous pouvons le connaître quand il n’y a plus personne qui est là, quand il n’y a plus cette identité «je» pour se saisir ou pour rejeter, quand nous sommes vacants dans une totale disponibilité à ce qui est. C’est dans cette totale disponibilité que peut se manifester, se déployer l’intelligence du coeur, l’intelligence claire.
En cet instant, qu’est-ce qui demeure réellement. Que pouvons-nous vivre d’autre que d’être dans cette intimité de ce qui est ?
Dans cet instant qu’il y a-t-il d’autre à vivre que d’être. Que d’être ici dans l’intimité de ce qui est. Etabli ici dans le corps, établi maintenant dans la respiration, sans se saisir de quoi que ce soit, sans combattre, sans rejeter quoi que ce soit. Seulement là, dans l’observation de ce qui se manifeste, sans intervenir, comme une coupe vide ouverte, vacante, le coeur de l’esprit disponible.
Nous sommes le sommet de la montagne verte. Nous sommes sa base. Nous sommes ses flancs. Nous sommes son intérieur, son centre, sa périphérie. Pas besoin d’atteindre son sommet, pas besoin de la connaître. Nous sommes la montagne elle-même. Nous sommes intelligence du coeur. Donc rien d’autre à vivre que d’être.