Je poursuis avec les six pratiques du Bodhisattva et donc avec la quatrième pratique qui est celle de l’énergie, de la persévérance, de l’effort enthousiaste, joyeux.
Sans la persévérance, la patience risque de se transformer en une attitude de passivité et sans la patience, la persévérance peut devenir un mouvement provoquant de la tension interne et du découragement.
D’une certaine manière ces deux pratiques qui se retrouvent au centre des six autres sont « l’élément charnière » entre ce qui nous a mis en chemin et la réalisation de ce chemin.
C’est-à-dire que dans le cheminement nous allons rencontrer un certain nombre d’obstacles, de résistances. Nous allons aussi parfois nous décourager et cette confrontation avec ces différents obstacles va demander non seulement de la patience mais aussi de cultiver la persévérance pour les traverser sans s’y opposer, sans les vivre comme des empêchements ou des barrières infranchissables, mais comme autant d’enseignements nous permettant de creuser le sillon de la connaissance de nous-mêmes.
Cette « dimension » de l’énergie est fondamentale dans le cheminement, car pour chaque pratique que ce soit le don, les préceptes, la patience, la concentration et la sagesse, nous avons besoin d’énergie pour les mettre en pratique.
Dans notre vie au quotidien ou dans notre cheminement spirituel, certain(e)s d’entre nous peuvent ressentir qu’ils sont en manque d’énergie, ce qui peut souvent provoquer une perte de motivation, mais aussi une incompréhension de ressentir une impression de ne pas avancer sur la voie malgré l’aspiration spirituelle qui nous habite.
Alors comment aborder cette quatrième pratique du Bodhisattva ? Car fondamentalement nous sommes des êtres d’énergie, alors, comment se fait-il qu’il y ait ce manque ?
Avant de vouloir palier ce manque, l’essentiel est de reconnaître, d’identifier, et donc de conscientiser ce qui freine cette énergie fondamentale qui circule en nous pour que puisse émerger une réponse ajustée, et ainsi la libérer pour qu’elle circule dans sa plénitude.
Mais une autre question aussi se pose qui est tout aussi centrale dans la vie spirituelle que la précédente, comment la rassembler, comment l’unifier ?
Ce ressenti d’un manque, d’une « perte » d’énergie est souvent dû au fait que l’énergie se disperse dans une multitude de directions, tellement nous sommes attirés ou absorbés par de multiples objets. Cette dispersion nous amène à nous sentir éparpillé et donc dans une vulnérabilité vis-à-vis du monde ou des autres.
Elle peut être aussi freinée par une éducation qui, notamment, amène à réprimer ses émotions ; et donc, celles-ci ne trouvant pas de chemin en soi mais aussi d’espaces « créatifs » pour s’exprimer, elles restent bloquées. Et ce blocage consomme beaucoup d’énergie.
La frustration, la déception, la difficulté à être ou à se sentir à sa place dans le monde, c’est-à-dire l’impossibilité que ses compétences, ses qualités créatives trouvent un espace d’expression au service de la communauté nous démunit de notre énergie.
Nous perdons aussi beaucoup d’énergie en entretenant consciemment ou inconsciemment des émotions comme la peur, la colère, la tristesse, la convoitise, la culpabilité ; des états d’esprit comme la vengeance, la malveillance ou des obsessions mentales. Et bien sûr, cette énumération d’émotions, d’états d’esprit qui sont énergétivores n’est pas exhaustive.
Nous pouvons aussi passer beaucoup de temps à nous plaindre, à critiquer. La plainte, ne jamais se satisfaire de ce qui est, est une des activités dans laquelle se complait le plus le système conditionné et qui engendre une grande perte d’énergie.
Si nous ne cultivons pas une pleine conscience au quotidien, alors ces différents états d’esprit ont la place libre pour se distiller, s’insinuer dans les moindres parcelles de nous-mêmes, nous laissant ainsi avec peu d’énergie à donner à l’essentiel de notre existence.
Ces différents blocages, ces différents freins peuvent se dissoudre dans la prise de conscience de leur manifestation et de leurs conséquences. Dans ce « être là ».
Leur dissolution peut aussi advenir dans l’aménagement d’espaces et de moments où nos aspirations ainsi que notre créativité peuvent s’exprimer en toute liberté.
La pratique régulière de la méditation assise, permet que certains de ces blocages se dissolvent d’eux-mêmes de par l’alliance entre la pleine conscience de tout ce qui se manifeste et l’observation sans saisie et sans rejet.
Cette alliance, non seulement favorise cette dissolution « spontanée », mais nous ouvre aussi à une vision intuitive, pénétrante qui délie les liens qui nous attachent à ces freins, facteur important de libération de l’énergie.
Le silence est une source fondamentale et nécessaire pour nous rassembler au cœur de nous-mêmes en relation avec le monde et au cœur du présent. Nous attachons beaucoup d’importance à la parole et donc aux mots, mais la plupart du temps nous nous perdons dans ceux-là car ils expriment le plus souvent le besoin de combler un manque, de voiler une angoisse existentielle, plutôt que de communiquer véritablement avec les autres ou de nous exprimer dans un essentiel. Et cela peut aussi contribuer à nous vider de notre énergie.
Ce qui en tant que méditant(e)s nous amène à nous interroger sur la qualité du silence. Car il existe plusieurs qualités de silence, celui qui se situe entre deux sons, entre deux paroles ou encore celui qui se situe entre deux pensées. Nous pouvons aussi expérimenter une qualité de silence dans la pratique de la méditation, ou face à la beauté de la nature… (quand le système égocentré s’est effacé) qui ne peut être définie, qui n’est pas un espace « entre deux », qui ne peut être élaborée par la pensée.
Un silence qui est au cœur de chaque phénomène, de chaque manifestation de la vie. Un silence au cœur duquel se dissout tout sentiment de séparation, tout sentiment de division.
Ce silence est plénitude. Ce silence est amour.
Dans cette qualité de silence contemplatif advient un jaillissement d’énergie, comme une source intarissable qui s’écoule et nous accompagne tout le long du cheminement.
Cette pratique de la persévérance du Bodhisattva, dans le sens de donner son énergie à la pratique à la fois de la méditation assise et de la pleine conscience au quotidien est qualifiée aussi d’effort enthousiaste, joyeux car il s’appuie sur le sentiment profond, intuitif que notre réalité d’être ne se limite pas exclusivement à bien fonctionner dans une structure sociale, mais qu’elle est comme le vaste espace, comme le cours d’une rivière limpide s’écoulant librement et échappant à toutes conditions, aucun système quel qu’il soit ne pouvant la définir.
Et donc, l’effort que peut parfois nous demander la voie de la libération des conditionnements, facteur de souffrance, pour que se réalise ce qui est appelé dans la voie du zen « nature de Bouddha », « lumière spirituelle », etc., que je nomme parfois « lumière silencieuse », est joyeux, enthousiaste car animé par ce pressentiment, par cette intuition.
Quel que soit le nom que nous lui donnons, marcher sur le chemin qui nous ouvre à la transcendance de l’être est une joie simple et profonde.