Si nous considérons la vie comme un don précieux et si nous la recevons en tant que tel nous éprouvons un sentiment de joie, d’amitié et de gratitude envers la moindre manifestation du vivant, une fleur qui s’ouvre à la lumière du soleil, le chant du vent dans le feuillage des arbres, un sourire, la présence d’un être cher… De ce sentiment de gratitude émerge naturellement la générosité, l’élan du partage et l’amour.

Je vais maintenant poursuivre avec les six pratiques du Bodhisattva, la conduite éthique.

La conduite éthique s’appuie sur le socle de la compassion et de l’amour universel pour tous les êtres, qui est au cœur de tous les enseignements du Bouddha. Ce qui nous demande avant tout de prendre conscience de la faculté de bienveillance, d’amour qui est en nous pour pouvoir l’éprouver en tous les êtres et pour tous les êtres. Elle se décline en dix préceptes ou fondements éthiques qui établissent les fondements du cheminement spirituel (vous trouverez les fondements affichés au centre et sur ce site internet).

Tout d’abord, le plus important est de ne pas interpréter, de ne pas vivre ces fondements comme de grands principes moraux fondés seulement sur des interdits, des défenses, des mortifications, ou de les vivre comme des grandes lois figées qu’il faudrait suivre en s’appuyant seulement sur l’action volontaire.

La conduite éthique exprime la « nature », la sagesse de Bouddha. Bouddha est employé ici dans le sens de la réalité éveillée qui est au coeur de chaque être humain.

Yoka Daishi disait que les préceptes étaient imprimés au fond de notre esprit, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas que des lois extérieures. Ils nous fondent dans notre réalité la plus profonde, la plus intime. Ils sont la manifestation, l’expression même de l’esprit d’éveil (Bodhaïshin).

La conduite éthique est donc l’art précieux d’être bouddha (d’être éveillé) dans la vie quotidienne. Nous ne pouvons pas réaliser les préceptes et les comprendre par notre seule volonté ou par l’intelligence conceptuelle. Sinon, le piège est qu’ils deviennent des principes, des dogmes et que le système conditionné (ego) s’en serve pour se renforcer, pour asseoir un pouvoir, pour s’affirmer sur les autres.

A partir de la pratique de la méditation assise (zazen), nous pouvons les comprendre de plus en plus profondément, avec la sagesse du corps et de l’esprit sans séparation. Dans ce sens la racine des préceptes, leur essence, est zazen. Ils sont la manifestation de zazen, qui lui-même est la manifestation du cœur éveillé, dans l’action de la vie quotidienne.

Ils sont le trait d’union entre les actes dans sa vie quotidienne et les valeurs philosophiques permettant ainsi que le quotidien de la vie et la voie, l’engagement spirituel, ne soient plus qu’un seul et même geste.

A ce propos, Maître Deshimaru disait : « Les préceptes symbolisent la transmission de Bouddha, ils reflètent le satori, l’éveil à l’esprit de Bouddha. Le précepte le plus haut est zazen. Zazen est au-delà des préceptes, il les inclut tous. Les préceptes des soûtra demeurent au niveau du formalisme, faire zazen revient à devenir Bouddha, la vie cosmique, le vrai précepte. »

Ce qu’il exprime ici n’induit pas qu’il ne faut pas en faire l’axe de sa vie, car ils sont une lumière pour éclairer le chemin de notre existence, un appui pour ne pas conduire notre vie seulement à partir de nos conditionnements, de nos schémas mentaux.

Si nous étions seulement animés dans notre vie par l’esprit de zazen, l’esprit de compassion, de non-séparation avec tous les êtres, avec tout le cosmos, il n’y aurait effectivement pas besoin de suivre les préceptes, chacune de nos actions en serait l’expression.

Quand nous sommes de plus en plus guidés par l’esprit d’éveil, ce n’est pas que le système conditionné qui nous conduit, alors, le fait, l’intention de tuer, de voler, de convoiter, de critiquer, de s’enivrer, etc. ne nous traverse pas l’esprit, n’entraînant pas ainsi l’acte.

Mais si nous observons avec une attention dépourvue de jugements et sans complaisance notre manière d’être, notre manière de fonctionner dans la vie, nous pouvons prendre conscience que notre vie est souvent dirigée par le fonctionnement de l’ego qui cherche à engranger du savoir, des connaissances, à amasser des objets matériels et à s’y attacher, qui cherche à avoir du pouvoir sur soi, sur les autres, sur le monde. Nous enfermant dans la croyance que le bonheur, la liberté se trouvent exclusivement dans les différents objets du monde extérieur.

L’identification à ce système nous fait vivre à travers les désirs, l’aversion, la peur. La peur du monde, la peur des autres, et c’est à partir de cela que se déploient tous les processus de l’ego : l’appropriation, l’attachement, la lutte, le rejet, l’opposition, la séparation… qui régissent notre vie, créant de la souffrance en soi-même et autour de soi.

En interdépendance avec cette prise de conscience, les préceptes peuvent être nécessaires, peuvent être une véritable aide sur la Voie, permettant de mettre en relief nos attitudes conditionnées et de les convertir en donnant une réponse plus ajustée, et ainsi être le véhicule éveillé qui conduit notre vie.

Si dans notre manière de vivre, d’être avec les autres nous réalisons que certains de nos actes sont éloignés de la conduite éthique, il est important que cette réalisation ne se transforme pas en culpabilité ou en jugement. Comme il est tout aussi important que cette réalisation ne soit pas regardée avec complaisance. Mais qu’elle nous permette de réajuster nos actions ou nos intentions pour qu’elles ne provoquent aucune souffrance.

N’oubliez pas que la conduite éthique s’appuie non seulement sur le socle de l’amour et de la compassion pour tous les êtres, mais aussi sur la conscience que la faculté de bienveillance et d’amour est en soi-même, qu’elle peut être une compagne précieuse sur la voie pour nous éveiller à notre dimension la plus vaste, rayonnant ainsi dans chacune de nos actions.